Le Sang des Mugwump, premier ouvrage de Doug Rice traduit en français, est le premier volet d’un cycle romanesque (pseudo)autobiographique. Roman baroque, conte de vampires, autobiographie déguisée, envolée mystique, poème érotique halluciné, ce livre résiste aux classifications. Des sénateurs républicains se sont émus du fait que la NEA (National Endowment for the Arts) avait subventionné l’auteur de cet ouvrage qu’ils jugeaient sacrilège, obscène et blasphématoire.
Décrivant la lignée des Mugwump, famille catholique dominée par la figure de la grand-mère, terrifiante Méduse incestueuse et vampire qui naguère fut un homme, Doug Rice explore un véritable monde mythologique. Le narrateur masculin, Doug, ne cesse de subir les mutations du désir, changeant perpétuellement de sexe et d’identité, incarnant et incarné par les membres de sa famille, tandis que son corps mue ne cesse de se transformer, passant du masculin au féminin. La frénésie et la virtuosité stylistiques répondent à la frénésie sexuelle, à la lutte perpétuelle et obsessionnelle de chacun des Mugwump pour monopoliser la parole (et le récit), dans un discours outrancièrement polyphonique. À cette vampirisation (littérale et métaphorique) du corps et de la narration répond la vampirisation littéraire, Doug Rice multipliant emprunts et références à la mythologie, à la Bible, à littérature ainsi qu’à la musique rock et la culture populaire. L’auteur convoque et évoque TS Eliot, James Joyce, Faulkner, Burroughs, Kathy Acker ou, en France, Luce Irigaray, Julia Kristeva…
L’intensité viscérale de la prose, la textualité brisée, incantatoire, se déploie dans une boucle narrative maniaque mêlant auto-reflexivité, cannibalisme théorique, et fiction. Comme si Doug Rice cherchait à libérer les mots prisonniers du corps, à venger son désir inassouvi d’être femme en signant l’un des textes les plus singuliers et les plus brillants de notre époque.
Des phrases et une prosodie absolument sublimes… J’en bave et je parie que Faulkner lui-même, mort ou pas, s’en rend compte. Mais ce qui est encore plus impressionnant, c’est l’entrée de Rice dans la guerre du genre. Rice redéfinit la masculinité (son identité ?) et la féminité (son autre ?) en les soumettant à un questionnement infini, implacable. Il en émerge une poésie en tant qu’analyse, qui prend ses racines dans ce qui doit bien s’appeler « la réalité ».
Kathy Acker
La prose de Rice est une merveille, une espèce de porno sous acide qui serait vu par les yeux de J. R. R. Tolkein et qui enrobe les scènes de sexe quasiment continues d’une poésie chic des mauvaises manières, luxuriante, excentrique, stupéfiante… C’est comme si Rice, dans son fabuleux style post-moderne, s’était proposé d’écrire le type de livre avec lequel ceux de Acker ou de Burroughs voudraient coucher.
Dennis Cooper