Kathy Acker a déclaré au sujet de ses expériences littéraires : « Je me suis alors intéressée au “texte pur”. Aux textes des autres… C’était comme quand on est petit ; tout à coup ouvre un magasin de jouets et le magasin de jouets s’appelait « la culture ». » Grandes espérances, roman qui figure parmi les chefs-d’œuvre de Kathy Acker, offre une bien belle vitrine à ce magasin : ici tout est parodie, plagiat, pastiche. L’auteur convoque Dickens, bien sûr, mais aussi Guyotat – qu’elle est la première à avoir traduit en anglais –, Proust, Ben Jonson, ou Pauline Réage ; elle mêle culture classique et culture populaire.
Cette fausse éducation sentimentale s’articule autour du thème de la formation de l’identité – laquelle, comme la textualité, est brisée, fragmentée. Le « je » joue double jeu, et s’il y a un fil conducteur narratif, il se trouve dans cette voix désenchantée, particulièrement poignante dans Grandes espérances. Le fantôme de la mère suicidée hante le texte de même qu’il hante la biographie d’Acker, les regrets, le désespoir latent prenant le pas sur l’énergie punk des premiers textes. Dans ce roman écrit quatre ans après Sang et stupre au lycée, Kathy Acker fait montre de toute sa maturité. Si la rage irrévérencieuse, la dérision, la sensualité dévorante des livres précédents irradient encore Grandes espérances, ce texte nous éblouit par sa maîtrise de l’écriture et de la construction, et nous bouleverse par ses tonalités mélancoliques.